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Participation au festival de courts métrages "Silhouette", édition 2018

Fin août 2018, j'ai eu l'opportunité de faire partie du jury chargé d'attribuer le "Prix du jury documentaire" lors du festival de courts métrages Silhouette. Festival qui se tient tous les ans au parc de la butte du chapeau rouge à Paris. Le blog documentaire, site dédié au cinéma documentaire qui accorde parfois asile à ma plume, est partenaire de ce prix, l'idée étant d'offrir une "mise en avant" au film primé. Nous étions trois à constituer ce jury, mes deux camarades d'alors étaient Diane Sara Bouzgarrou, réalisatrice, et Simon Lehingue, programmateur.

Le 30 août, une bonne partie de la journée, nous avons visionné les dix films qui avaient été sélectionnés au préalable par le comité de sélection et à l'issue de ces visionnages, nous avons délibéré.

C'est à Saule Marceau de Juliette Achard que nous avons décidé d'attribuer le prix du meilleur documentaire de ce festival.

Nous nous sommes également mis d'accord pour donner une mention spéciale à un autre court, Le saint des voyous de Maïlys Audouze.

Et le lendemain matin, encore imprégné de cette expérience (nouvelle pour moi), j'ai pris quelques notes de réflexions personnelles. Elles sont à lire ci-dessous.

La "mise en avant" promise est constituée de deux textes d'analyse (l'un signé par Diane Sara Bouzgarrou et l'autre par moi-même) et d'une interview de la réalisatrice.

Pour lire tout cela, c'est ici.

Saule Marceau

Image provenant de Saule Marceau (2017, Les films de la caravane)

Juré d'un jour


Un jury sans président ressemble à une mini-démocratie. Nul chef désigné au préalable n'a le dernier mot, le final-cut. On donne la parole à tous et à chacun. Sans hiérarchie établie, c'est alors l'art de la parole, l'art oratoire, qui devient l'instrument d'accession au pouvoir : celui ou celle qui saura l'utiliser avec le plus de talent et d'efficacité saura convaincre les autres jurés d'adhérer à sa préférence. C'est comme une élection à plusieurs candidats, pour « prendre le pouvoir », cela se joue avec des mots, en parlant, en argumentant, en maniant le langage.


Il ne s'agit pas seulement de défendre son film-chouchou, l’œuvre qui nous plaît davantage que les autres, celle qui nous a le plus touchés, le plus marqués, non, à mesure que se mènent les discussions, dans l'arène bienveillante où les jurés joutent, la raison prend le pas sur l'émotion, la tentation de l'objectivité remplace peu à peu la seule subjectivité. On finit par penser à l'effet que pourrait faire ce prix au cinéaste qui le recevra ; on finit par se demander si cette récompense lui sera préjudiciable ou bien par la concevoir comme un encouragement pour la suite ; Chacun doit affiner ses goûts, les adapter à ceux du groupe, les remanier en se rappelant la position des autres. Il ne s'agit plus d'honnêteté, d'authenticité, de notre inclination personnelle, de notre coup de cœur individuel, il s'agit alors de stratégie de groupe.


Un jury sans président est l'exercice démocratique du compromis. De là à sacrifier ce mot pour celui de concession, plus péjoratif, il n'y a qu'un petit pas assez simple à franchir. La réalité pourrait nous conduire à faire ce pas. Ce n'est d'ailleurs pas déplaisant. Ce sont les règles du jeu, et si l'on parle ici de jeu, c'est que l'acte y ressemble. On joue à se mettre d'accord sur un film, un seul, puisqu'il ne doit y en avoir qu'un. On pourrait constituer un jury d'un unique juré, qui en serait le président s'il le souhaiterait, et le jeu serait moins compliqué. On pourrait aussi, puisque nous sommes trois dans ce collectif éphémère, choisir trois films, ou bien deux s'il y a accord immédiat, ou davantage, faire s'exprimer sa complète subjectivité débordante d'authenticité envers son choix favori, ce serait plus juste, mais totalement hors-jeu. Il faut donc faire des concessions, laisser de côté ses réticences s'il y en a, et généralement se ranger derrière des arguments convaincants - ou derrière la personne qui les a émis avec le plus de charisme, le plus de pertinence : derrière le candidat qui aura pris le pouvoir.


Il est évident que ce jeu améliore le citoyen qui y participe. Il ne faut surtout pas être mauvais perdant. Celui ou celle qui resterait campé(e) sur sa sensibilité, sur son affectivité, n'aura rien appris. Plutôt que de se battre, de se disputer, on doit s'accorder. C'est clairement le sens du Progrès, de la Civilisation (allons-y gaiement avec de grands mots à majuscule), celui qui nous vient des Lumières (faites sonner les trompettes), celui qui a été le plus mis en avant par l'Europe depuis trois-quatre siècles (l'apothéose en fanfare). Il faut bannir sa passion pour rester dans le jeu, dans le groupe, et pour aboutir à un résultat. C'est la synthèse adorée par tous les sociaux-démocrates, en somme.


Il est pourtant tout aussi évident que l'idée de base est mauvaise en soi. Si l'on considère que la compétition est une valeur négative, alors mettre en place un match entre plusieurs films sélectionnés est déplorable. Pourquoi vouloir récompenser une œuvre parmi une dizaine d'autres? Le simple fait d'avoir été élue lors du premier tour n'était pas une récompense suffisante? Il faut donc que l'on y rajoute encore un peu plus de bagarre? Pour quelle raison met-on en place ce type de tournoi, au fait? Peut-être parce que nous, Êtres humains, aimons ça. Comme la coupe du monde de football, comme les Jeux Olympiques, comme les élections présidentielles, comme les Oscars, nous prenons beaucoup de plaisir à suivre une épreuve dans laquelle luttent plusieurs compétiteurs, et nous jubilons ou nous pleurons d'assister à la victoire du lauréat. Ce plaisir est sans doute coupable. Ce plaisir est certainement la conséquence d'un système social et économique injuste. Mais quelle qu'en soit la cause, ce plaisir est là, fort, puissant, balayant toute la réticence morale qui pourrait se dresser face à lui pour le diminuer - ou l'anéantir.


Le fait est que faire partie d'un jury est une chance : voir des films toute la durée d'un festival ou pendant une journée spécialement dédiée au visionnage des films sélectionnés, est loin, très loin, d'être une activité déplaisante. C'est aussi l'opportunité de faire des rencontres. Dans un autre sens, moins valorisant, c'est une bonne occasion de "réseauter". C'est également la possibilité d'exercer ce deuxième métier que tous les Français ont, en plus de leur emploi (quand c'est le cas), selon François Truffaut : critique de cinéma. Discuter de films, donner son avis, émettre une opinion, soulever des problèmes, mettre le doigt sur des défauts ou au contraire se répandre en louanges, c'est quand même mieux que de passer sa journée à faire ce que l'on est payé pour faire les autres jours. Le quotidien s'embellit dans une salle obscure.


Le film primé n'est donc pas forcément le meilleur film. Les palmes d'or depuis la création du festival de Cannes sont des preuves de cette étonnante réalité. Certaines œuvres ayant reçues ce Graal n'ont pas survécu au passage du temps. Alors effectivement, le film primé est souvent le fruit d'un consensus. Le plus petit dénominateur commun de ce groupe d'individus que l'on a rassemblé pour constituer un jury. Peut-on emporter, dans un souffle limpide, l'adhésion d'un petit rassemblement d'individualités? C'est sans doute très rare.


Paris, le 31 août 2018



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