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Publication dans Hors Champ, le journal du festival "Les États généraux du film documentaire"



Mars 2006. Je n'ai rien vu à Angkor Wat. Rien compris. Rien ressenti. J'aurais dû être époustouflé, soufflé même, j'aurais dû être émerveillé, enchanté. Tant de beauté, de magnificence, tant de mystère. Mais voilà, trop de mystère, en vérité. Trop d'éloignement d'avec ma propre culture. J'étais incapable de lire ce site ancien. Le passé cambodgien était un trou béant. Je ne pouvais rien imaginer de ce passé. Comment les khmers vivaient ici plusieurs siècles plus tôt ? À quoi ressemblaient-ils ? À quoi ressemblait leur existence ? Et puis, un mauvais esprit réfractaire en moi devait résister à l'injonction touristique : j'avais du mal à apprécier ce que j'étais sensé apprécier. Arrogance typique et vaine. Je me raccrochais à la dernière séquence de In the mood for love pour me reconnecter avec les monuments, les vestiges, les ruines qui m'entouraient. Ça ne marchait pas. J'essayais de me figurer le compatriote colonisateur aventurier en train de commander le grand débroussaillage de la jungle à une armée de Cambodgiens à peine payés afin de dévoiler tout ce qu'il restait de cette vieille capitale impériale - je ne me suis jamais identifié aux colons. Je me concentrais très fort pour rester là, pour que mon esprit demeure au présent. J'ai rapidement décroché. Je me suis intéressé aux à-côtés. Les touristes coréennes à la peau si laiteuse ne sortaient pas de l'ombre de leur parapluie. Les voyageurs occidentaux étaient des miroirs de ma propre condition du moment. Les stratégies des vendeurs khmers pour vendre leurs produits étaient nombreuses et souriantes. Le ciel était voilé, l'ambiance orageuse. Le réveil avait été encore une fois trop précoce, je traînais mon corps fourbu.

L'homme était à une trentaine de mètres du chemin qui menait au temple le plus connu, devenu l'emblème du pays. Il était au sommet d'une échelle, à s'occuper d'une ligne électrique. Il travaillait, lui. Sa journée avait un sens prédéfini, on lui avait confié une tâche à effectuer, je l'enviais. Bien sûr, la forme de son instrument de travail épousait celle du temple. Bien sûr, la superposition fonctionnait à merveille. Un emboîtement comique, tendre, entre un symbole historique mondialement célèbre et l'échelle d'un simple ouvrier en train de bosser. Un ami photographe, à qui j'avais montré cette photo quelques semaines plus tard, de retour de France m'avait demandé : "Un peu facile, non?". Il avait raison, j'admettais cette facilité. Elle n'a jamais empêché de commettre de bonnes photos.


Août 2019. C'est d'ailleurs celle-ci qu'a choisi, parmi des centaines d'autres au sein de ce site, l'équipe de rédaction de Hors Champ. Hors Champ est le journal du festival Les États généraux du film documentaire de Lussas en Ardèche. Merci à Garance Le Bars et Orane Grussin.

Pour lire le numéro 151 c'est ici.


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